Décision de la Cour d’appel dans le dossier des agences de placement

Décision de la Cour d’appel dans le dossier des agences de placement

La Cour d’appel du Québec vient de rendre sa décision dans le dossier des agences de placement, en lien avec le Règlement sur les agences de placement de personnel et les agences de recrutement de travailleurs étrangers temporaires, qui infirme le jugement de première instance et rejette les demandes introductives d’instance.

La démarche juridique était menée par l’Association des entrepreneurs spécialisés en procédé industriel du Québec, l’Association nationale des entreprises en recrutement et placement de personnel, l’Association minière du Québec et l’AFG, qui avaient obtenu une décision favorable à la Cour supérieure en octobre 2022. 

Le jugement de la Cour d’appel contient certaines indications la définition d’«agence de placement».

Vous trouverez ci-dessous certains extraits d’intérêt, ainsi qu’un lien pour consulter le jugement intégral.

Extraits à signaler :

  • (109) Mais quoi qu’il en soit, il reste que la « location de personnel » (ou « le placement de personnel ») est une expression connue, qui renvoie à un arrangement dans le cadre duquel une personne ayant un lien contractuel avec un salarié met contractuellement les services de celui-ci à la disposition d’une entreprise cliente, afin qu’il exécute chez cette dernière, à plus ou moins long terme, des tâches qu’elle gérera et supervisera au quotidien (comme s’il s’agissait de ses propres salariés). Autrement dit, l’objet du contrat entre le fournisseur et la cliente est la capacité de travail du salarié du premier, dont la seconde fera usage à son profit. La location de personnel peut par ailleurs constituer l’activité principale du fournisseur ou être une activité secondaire ou même occasionnelle.
  • (113) Bref, certainement en ce qui concerne l’élément « location de personnel », qui est central à la définition de l’agence de placement au sens du Règlement (et de la L.n.t.), on ne peut parler d’imprécision : il s’agit d’un terme courant, renvoyant à une situation contractuelle tout aussi courante, existant en maintes déclinaisons.
  • (114) La définition est d’autant plus précise que son texte comporte un ajout : les services de location de personnel s’accomplissent « en fournissant des salariés à une entreprise cliente pour combler des besoins de main-d’œuvre / by providing employees to a client enterprise to meet its labour needs », élément qui est déjà inhérent au concept de « location de personnel », comme on vient de le voir. Cette indication supplémentaire renforce l’idée centrale que l’objet du contrat entre le fournisseur et la clientèle est bel et bien la capacité de travail de la personne salariée. Et comme si cela ne suffisait pas, la définition de l’« entreprise cliente / client enterprise » renchérit là-dessus en envisageant que celle-ci recoure aux services d’une agence de placement de personnel « pour combler des besoins de main-d’œuvre / to meet labour needs ».
  • (115) À mon avis, tout cela répond aux inquiétudes qu’on a soulevées à propos de la confusion qui pourrait exister entre la location de personnel et ces techniques d’impartition que sont, par exemple, le contrat de sous-traitance ou, plus généralement, le contrat d’entreprise ou de service. Ce dernier, que régissent les art. 2098 et s. C.c.Q., a pour objet la réalisation d’un ouvrage matériel ou intellectuel ou la prestation d’un service que le client (ou donneur d’ouvrage) n’entend pas exécuter lui-même ni faire exécuter par ses salariés, mais qu’il confie à un tiers (entrepreneur ou prestataire de services), qui s’exécutera personnellement ou par le truchement de ses propres salariés, dont il contrôlera la prestation. Le tiers en question peut, selon le cas, exécuter ses obligations in situ chez le donneur d’ouvrage ou dans son propre établissement ou encore dans un lieu autre. Le contrat de sous-traitance (qui n’est lui-même pas défini par la loi, mais n’en demeure pas moins bien connu en droit est une sous‑figure du contrat d’entreprise ou de service.
  • (116) Un exemple simple, celui de l’entretien ménager, illustrera la différence entre la location de personnel et le contrat d’entreprise ou de service. De nombreuses organisations se défont carrément de ce service qu’elles confient entièrement à des firmes spécialisées, qui exécuteront les tâches d’entretien in situ grâce à leur propre personnel. Il n’y a pas de doute qu’il ne s’agit pas là d’un contrat de location de personnel, mais bien d’un contrat de service classique (de type sous-traitance). L’objet du contrat est le service lui-même et son résultat. La cliente ne cherche pas ici à pourvoir à un besoin de main‑d’œuvre, elle ne cherche pas du personnel, elle cherche un service. Peu importe d’ailleurs que le service soit fourni par des humains ou des machines. La cliente, en pareil cas, supervise certes le résultat (la supervision générale qu’exerce le client n’étant nullement incompatible avec le contrat d’entreprise ou de service ou la sous‑traitance, bien entendu), mais pas la prestation de travail de chaque salarié comme telle, ce qui est laissé à l’employeur de celui-ci, l’entreprise d’entretien ménager. Par contraste, on parlera de location de personnel dans la situation suivante : la cliente a elle‑même à son emploi une équipe de personnes salariées dédiées à l’entretien ménager, mais dont l’une des membres doit s’absenter pour des vacances de trois semaines ou encore pour un congé parental de plusieurs mois; la cliente souhaite pourvoir ce poste temporairement, mais plutôt que d’embaucher elle‑même un ou une remplaçante et d’encourir toutes les obligations administratives et fiscales liées à une telle embauche, elle demande plutôt à un tiers qui se livre à ce genre d’activités de lui fournir les services d’un ou d’une salariée à cette fin. En pareil cas, l’objet du contrat entre cliente et fournisseur est la capacité de travail du salarié affecté au remplacement.
  • (117) Sur ce point, je ne suis donc pas ébranlée par certaines des affirmations du Groupe AESPIQ. On nous explique par exemple qu’un entrepreneur en procédé industriel s’occupera à l’occasion de la vérification et de l’entretien de certains types de machinerie dans de grosses infrastructures (barrages, usines de production d’aluminium et autres du genre). Il dépêchera à cette fin chez la cliente, en vertu du contrat qui les unit, des équipes d’employés spécialisés (employés qui sont les siens). Évidemment, cette vérification et cet entretien se feront in situ, chez la cliente, et souvent avec la collaboration indispensable des salariés de celle-ci. Il serait inadmissible, aux yeux du Groupe AESPIQ, qu’on parle alors de « location de personnel ». Mais justement, il me semble assez clair que l’objet du contrat entre l’entrepreneur en procédé et sa cliente est le service même de vérification et d’entretienet non la capacité de travail des salariés de l’entrepreneur en question, la cliente ne cherchant pas à satisfaire ici un besoin de main‑d’œuvre : on aurait donc affaire à un contrat de service, mais non à un contrat de location de personnel.
  • (118) On nous parle aussi du cas où, par exemple, une firme de génie-conseil dépêcherait un ingénieur sur place, chez une cliente, là où se font des travaux, pour y donner, justement, ses conseils, assurer une supervision, etc. Là encore, je serais a priori portée à penser qu’il ne s’agit pas d’un contrat de location de personnel : la prestation de travail de l’ingénieur en cause n’est en effet pas contrôlée par la cliente, mais bien par la firme de génie-conseil, quoique celle-ci puisse collaborer avec la cliente et son personnel.
  • (119) Je n’épiloguerai cependant pas davantage. En l’absence de toute preuve dans le présent dossier, je préfère m’abstenir de statuer de manière définitive sur les situations factuelles susceptibles de tomber – ou non – dans le champ de la définition litigieuse, et je me contenterai de conclure que le renvoi que celle‑ci fait à la « location de personnel », concept juridiquement bien circonscrit, n’a rien de l’imprécision invalidante.
  • (145) Il semble y avoir ici un malentendu : la définition que le Règlement donne à l’agence de placement vise justement le cas des personnes « qui embauchent du personnel pour le placer chez un client » et son application à toutes les entités qui se livrent à une telle activité – et non seulement à celles qui en font leur activité exclusive ou principale – n’a rien d’aberrant. L’application de l’art. 41.2 L.n.t. (qui garantit la parité salariale entre les personnes salariées placées par l’agence et celles de l’entreprise cliente) aux membres des intimées n’a rien d’aberrant non plus lorsque les membres en question font de la location de personnel (notion dont on a vu le sens dans la section précédente des présents motifs). S’ils n’en font pas, ils ne sont pas visés par l’art. 41.2 L.n.t.

Photo de couverture : Par Jeangagnon — Travail personnel, CC BY-SA 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=34964966