Affaires publiques
10 août 2018
J’ai emprunté le titre de ce billet au quotidien Le Soleil, qui a publié cette semaine notre lettre ouverte, comme plusieurs autres médias – une lettre qui a aussi suscité diverses demandes d’entrevues au cours des derniers jours (photo de couverture).
Je trouve que cette formulation résume bien ce qui nous pend au bout du nez si le gouvernement Couillard ne prend pas les moyens pour éviter de répéter les erreurs commises dans le domaine municipal au niveau des ministères et organismes publics.
En effet, la version actuelle du projet de règlement modifiant le Règlement sur certains contrats de services des organismes publics menace de permettre, dès septembre, au ministère des Transports, de la Mobilité durable et de l’Électrification des transports (MTMDET) et à la Société québécoise des infrastructures (SQI), l’utilisation de modes d’octroi de contrats axés sur le plus bas soumissionnaire pour des services d’architecture et d’ingénierie. Il est question ici des deux plus grands donneurs d’ouvrage publics du Québec, qui investissent des milliards annuellement dans nos infrastructures.
Les modes d’octroi de contrats proposés dans ce projet de règlement sont tout simplement mal adaptés pour des services professionnels et certains sont même pires encore que ceux dénoncés par la Commission Charbonneau.
Je le répète : l’octroi de contrats en fonction du plus bas prix ne devrait jamais être utilisé pour les services professionnels d’architecture et d’ingénierie, qui visent à identifier la meilleure solution pour chaque projet.
Des mesures d’exception?
Le ministre Robert Poëti, en charge du dossier, a affirmé que ces nouvelles dispositions réglementaires seraient l’exception et non pas la règle. Mais puisque les trois nouveaux modes introduits par le projet de règlement mèneront tous à la sélection des plus bas soumissionnaires (voir notre mémoire), nous croyons que la course vers les plus bas prix deviendra la norme si le projet de règlement n’est pas amendé.
Visiblement, quelque chose ne fonctionne pas du tout. Et nous ne sommes pas les seuls à le constater, bien au contraire : malgré les nombreuses absences en raison d’une consultation en pleines vacances de la construction(!), une trentaine d’organismes et d’experts ont signé notre lettre ouverte, parmi lesquels des ordres professionnels, des groupes environnementaux, des économistes, des urbanistes, des spécialistes en gestion de projet, des avocats, des entrepreneurs, des regroupements d’affaires et j’en passe. Et d’autres organisations encore nous ont spontanément offert leur appui à la suite de la publication de la lettre. L’opposition contre le plus bas soumissionnaire pour l’architecture et l’ingénierie de nos infrastructures est sans équivoque et la mobilisation prend de l’ampleur.
Pourtant, nous ne doutons pas de la bonne foi de Robert Poëti. Dans l’ensemble, le projet de règlement apporte d’ailleurs des éléments tout à fait pertinents en termes d’intégrité dans la gestion des contrats publics.
Mais dans le cas des modes d’octroi de contrats pour les services professionnels d’architecture et d’ingénierie, je crois qu’une analyse en profondeur des meilleures pratiques qui répondent aux recommandations de la Commission Charbonneau doit être faite. Aussi, le gouvernement doit prendre le temps d’échanger de façon ouverte et transparente avec l’ensemble des parties prenantes.
Cela devrait inclure les organisations qui représentent l’industrie et les professionnels, mais également l’Autorité des marchés publics (AMP).
Le rapport de la Commission Charbonneau prévoyait un rôle majeur pour ce nouvel organisme dans l’identification des meilleurs modes d’octroi de contrats publics. En adoptant de nouvelles règles dès maintenant, le gouvernement se prive de l’expertise que pourrait apporter l’AMP en amont du processus.
La future grappe de la construction, que vient tout juste de lancer Dominique Anglade, vice-première ministre, ministre de l’Économie, de la Science et de l’Innovation et ministre responsable de la Stratégie numérique, serait un forum tout désigné pour débattre de cette question.
Mais à court terme, le simple retrait de deux articles problématiques permettrait d’adopter le projet de règlement tout en évitant une grave erreur. Nous espérons que le ministre Poëti et le gouvernement prendront en considération l’opinion unanime des principaux acteurs de la société civile dans le domaine avant d’adopter la version finale de ce règlement.
Pour plus d’information, consultez le dossier spécial sur www.afg.quebec