Plaidoyer pour un Code québécois des contrats publics

Plaidoyer pour un Code québécois des contrats publics

Au Québec, deux régimes juridiques existent et évoluent en parallèle en matière d’octroi des contrats publics, l’un visant le secteur gouvernemental (ci-après « les organismes publics ») au sens de la Loi sur les contrats des organismes publics et l’autre englobant les entités municipales. En mars 2010, le Groupe-conseil sur l’octroi des contrats municipaux avait rejeté l’idée de réunir les règles applicables sous un même texte législatif[1].

Depuis 2010, nous avons toutefois constaté une prolifération des modifications législatives et réglementaires dans ces deux régimes juridiques. Des règles d’un régime sont progressivement intégrées dans l’autre, et vice versa. Par contre, les régimes juridiques conservent leurs différences puisque leurs auteurs ont adopté, au fil du temps, une vision différente de ce que devraient être les règles de passation des contrats. Dans ce contexte, l’harmonisation des règles dans un code québécois des contrats publics nous apparaît souhaitable.

Quelques signes d’uniformisation 

Une modification législative récente permet de démontrer que le législateur tend à uniformiser les règles sur certains sujets[2]. Depuis le 10 juin 2016, une entité municipale doit respecter un délai minimal de sept jours entre la publication d’un addenda « susceptible d’avoir une incidence sur le prix des soumissions » et la date de réception des soumissions dans le cadre d’un appel d’offres public. Depuis de nombreuses années, cette règle s’applique aux organismes publics ; le législateur a choisi de l’importer intégralement dans le secteur municipal.

Un autre exemple est l’importation, dans la législation municipale, du mécanisme d’évaluation de rendement déjà mis en place dans le secteur gouvernemental. Ce processus confère au donneur d’ouvrage la discrétion de refuser une soumission pour le motif que son auteur a fait l’objet d’une évaluation de rendement insatisfaisant au cours des deux dernières années. Toutefois, pour des raisons obscures, les règlements applicables aux organismes publics renferment deux autres motifs pour refuser une soumission : ne pas avoir donné suite à une soumission ou à un contrat ou avoir fait l’objet d’une résiliation du contrat en raison du défaut d’en respecter les conditions. Cette importation partielle d’une règle du secteur des organismes publics vers le secteur municipal entraîne une difficulté d’interprétation inutile, alors que les municipalités devraient manifestement bénéficier des mêmes motifs de rejet d’une soumission.

L’uniformisation des règles : une approche retenue par la Commission Charbonneau

Les recommandations 2 et 20 de la Commission Charbonneau militent d’ailleurs pour l’uniformisation des règles applicables aux contrats publics québécois.

La recommandation 2 vise à « uniformiser les lois et les règlements » pour permettre à tous les donneurs d’ouvrages de décider de la pondération appropriée à chacun des critères de prix et de qualité pour l’octroi d’un contrat de construction.

Dans sa recommandation 20, la Commission Charbonneau a souligné, à juste titre, que les « questions névralgiques » relatives à la confidentialité des noms des membres des comités et de l’identité des preneurs des documents d’appel d’offres ne devraient pas recevoir un traitement différent dans les deux cadres juridiques.

Deux approches distinctes malgré leurs points de convergence

Le cadre normatif applicable aux organismes publics s’inscrit principalement dans quatre volumineux règlements (approvisionnement, construction, services, technologies de l’information). Les processus y sont décortiqués et présentés de manière descriptive.

Le Secrétariat du Conseil du trésor (ci-après « SCT ») en prône une interprétation stricte, laissant moins de place à l’innovation et à l’approvisionnement intelligent. À titre d’illustration, le SCT est d’avis que l’appel d’offres public en deux étapes pour des travaux de construction (évaluation de la qualité et prix le plus bas parmi les qualifiés) ne peut être envisagé que lorsque l’envergure ou le niveau de complexité d’un projet nécessite que les entrepreneurs démontrent une expertise particulière.

D’une part, cette approche restrictive s’inscrit en contradiction avec la recommandation 2 de la Commission Charbonneau, laquelle est favorable à la méthode qualitative dans le domaine de la construction.

D’autre part, cette approche du SCT se distingue de celle du régime municipal, plus particulièrement depuis l’adoption, le 16 juin 2017, du Projet de loi 122[3]. En effet, le législateur a modifié les mécanismes de passation des marchés dans le but de doter les municipalités d’une boîte à outils afin de répondre plus adéquatement à leurs besoins, tout en conservant la liberté de choisir les moyens pour y arriver. En outre, les mécanismes d’évaluation qualitative des soumissions ont été assouplis et le processus de discussions avec les soumissionnaires peut être entrepris pour tout type de contrats, sans égard à la complexité du besoin.

Conclusions

En somme, les particularités de chaque secteur, lorsqu’elles existent, pourraient se traduire par des règles particulières dans un seul et même code des contrats publics. Il nous apparaît que l’octroi d’un contrat comportant une dépense de fonds publics doit s’effectuer suivant les mêmes principes qui pourraient découler d’un seul cadre normatif orienté vers l’innovation et l’approvisionnement intelligent.

La présence d’élus municipaux ne nous apparaît pas constituer un obstacle à cette uniformisation des règles. En effet, la Loi sur les contrats des organismes publics prévoit déjà qu’un conseil des commissaires, formé également d’élus, agit à titre de dirigeant de l’organisme public au sens de cette loi.

Un code québécois des contrats publics se présente avec encore plus d’acuité en considérant l’adoption récente du Projet de loi 108[4] et la mise en place de l’Autorité des marchés publics, instance chargée de surveiller les marchés publics des organismes publics et des municipalités. L’harmonisation des règles faciliterait indéniablement le plein accomplissement de la mission de cette nouvelle entité dans l’intérêt public.

 

À propos des auteurs

jean-benoit_pouliot_150x150sebastien_laprise_150x150Me Jean-Benoît Pouliot et Me Sébastien Laprise sont avocats au bureau de Langlois avocats à Québec. Ils disposent d’une expertise de pointe en droit des contrats publics. Ils conseillent et représentent plusieurs organismes publics assujettis à la LCOP de même que de nombreuses municipalités. Ils ont notamment coécrit l’ouvrage « Contrats des organismes publics – Manuel sur les meilleures stratégies » (Wolters Kluwer, 2016).

 

[1] Québec, Ministère des Affaires municipales, du Sport et du Loisir, Rapport du Groupe-conseil sur l’octroi des contrats municipaux : Marchés publics dans le milieu municipal, mars 2010, p. 23 : selon les auteurs du rapport, l’autonomie budgétaire des municipalités, qui se manifeste notamment par leur pouvoir de taxation, les distinguait des organismes publics visés par la Loi sur les contrats des organismes publics.

[2] Loi modifiant diverses dispositions législatives en matière municipale concernant notamment le financement politique (Projet de loi 83).

[3] Loi visant principalement à reconnaître que les municipalités sont des gouvernements de proximité et à augmenter à ce titre leur autonomie et leurs pouvoirs (Projet de loi 122).

[4] Loi favorisant la surveillance des contrats des organismes publics et instituant l’Autorité des marchés publics (Projet de loi 108).

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