L’application des clauses de force majeure dans l’industrie de la construction

L’application des clauses de force majeure dans l’industrie de la construction

Depuis le 24 mars dernier à minuit, tous les chantiers au Québec qui ne font pas partie des services essentiels sont fermés jusqu’au 4 mai prochain. L’interruption des travaux pendant cette période critique de l’année aura des effets importants sur plusieurs projets, avec tous les coûts supplémentaires et prolongations d’échéancier qui pourront en découler. Une communication accrue entre tous les intervenants sur les chantiers affectés sera fondamentale pour mitiger les impacts et s’assurer de la préservation des droits. Les avis requis devront être envoyés dans les délais applicables. Dans le cadre de cet exercice, plusieurs yeux se tournent vers les clauses de force majeure.

Un cas de force majeure peut donner lieu à divers effets juridiques. Des contrats peuvent notamment prévoir le droit à des délais supplémentaires, sans que les pénalités contractuelles s’appliquent. La possibilité de réclamer des dommages peut également être stipulée. Les coûts pouvant être réclamés en cas de retard dans un projet de construction causés par un événement de force majeure sont nombreux et il est important de bien documenter chaque aspect qui pourrait éventuellement faire l’objet d’une réclamation.

Mais avant de s’attarder aux droits et réclamations pouvant découler d’une clause de force majeure, comment est-ce qu’un cocontractant peut savoir si une telle clause dans un contrat donné s’applique à la situation en question?

Il faut étudier le libellé de la clause. En effet, le contrat peut contenir une clause définissant ce que les parties ont envisagé ou exclu comme éventuels cas de force majeure, de même que la responsabilité de chacune des parties en cas de pertes et dommages. Le contrat est la loi entre les parties, ce qui signifie que même si le Code civil définit globalement ce qui constitue un cas de force majeure, les parties peuvent y déroger par contrat (la notion de force majeure n’étant pas d’ordre public). Autrement dit, la définition donnée dans le contrat a préséance sur celle donnée par le législateur.

Évidemment, si le contrat prévoit des modalités régissant un cas de force majeure, ce n’est pas nécessairement la fin de tout questionnement. Il y a certes des contrats qui ne donnent aucune définition de « cas de force majeure ». Dans de tels cas, il faut alors s’en remettre à la définition au Code civil. Le 2e alinéa de l’article 1470 C.c.Q. définit le cas de force majeure comme étant « un événement imprévisible et irrésistible ».

L’imprévisibilité s’évalue au moment où l’obligation a été contractée et non au moment où l’événement se produit. Les tribunaux utilisent le critère de la personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances. C’est donc un critère objectif. Quant à la nature irrésistible, cela signifie qu’une personne prudente et diligente placée dans une situation similaire serait aussi dans l’impossibilité de pouvoir exécuter la même obligation. Notons que l’impossibilité d’exécuter l’obligation introduit un critère subjectif.

Alors, la pandémie constitue-t-elle un cas de force majeure au sens du Code civil? À la lumière des notions susmentionnées, il n’y a évidemment pas de réponse universelle à cette question. L’on pourrait certainement prétendre que, quelle que soit la situation qu’on analyse, le critère d’imprévisibilité sera satisfait. Pour ce qui est de la nature irrésistible rendant impossible l’exécution de l’obligation, chaque cas est un cas d’espèce.

À titre d’exemple, les épiciers et leurs fournisseurs opèrent présentement à plein régime et leur profitabilité augmente en conséquence. De telles entreprises ne pourront donc pas invoquer la notion de force majeure dans le cadre de leurs relations contractuelles. En effet, l’établissement de la nature irrésistible d’un événement repose sur la démonstration que les effets de cet événement empêchent le contractant en question d’honorer ses obligations.

La jurisprudence peut servir de guide, mais est-ce que la jurisprudence axée sur le thème des épidémies ou pandémies est la plus pertinente? Ou celle qui s’est penchée sur les cas de force majeure qui ont affecté les chantiers de construction? Selon nous, il ne faut pas regarder le problème du point de vue de la catastrophe précise à laquelle nous sommes confrontés, ici une pandémie, mais du point de vue de l’industrie et de la manière dont une industrie spécifique comme celle de la construction peut être affectée par des événements extérieurs. Ce sont les faits propres à chaque cas qui permettront de vraiment répondre à la question : la COVID-19 est-elle pour l’industrie de la construction au Québec un cas de force majeure au sens du Code civil? Pour y répondre, mieux vaut faire affaire avec des professionnels qui connaissent l’industrie. L’application des clauses de force majeure n’est pas automatique et la maîtrise des mécanismes contractuels dans chaque cas sera d’importance primordiale.

À propos de l’auteur : La pratique de James Woods, avocat principal au sein du cabinet juridique Borden Ladner Gervais (BLG), est axée sur le litige de la construction. Dans le contexte d’importants projets de construction, il conseille plusieurs entrepreneurs, sociétés spécialisées en construction, firmes d’ingénierie et donneurs d’ouvrage concernant les réclamations, la gouvernance et la conformité, les appels d’offres publics, la délivrance des licences de la RBQ et d’autres dossiers liés à la construction.

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