Démystifier les lettres de fiabilité

Démystifier les lettres de fiabilité

Les lettres de fiabilité (reliance letters) sont fréquemment utilisées dans le domaine du génie-conseil, particulièrement par les laboratoires de sol et les firmes spécialisées en environnement. Essentiellement, ces lettres permettent à une personne morale ou physique d’utiliser un rapport d’expertise qui ne lui était pas destiné à l’origine.

L’exemple classique est celui d’un consultant appelé à rédiger un rapport attestant que les sols d’une propriété ne sont pas contaminés. Le contrat de service prévoira habituellement que le rapport est à l’usage exclusif du client. Cependant, une tierce partie, fréquemment une institution financière ou un acheteur, voudra éventuellement « se fier » sur le rapport avant de conclure un financement ou une transaction. La lettre de fiabilité a pour effet d’élargir l’usage du rapport de sol à cette tierce partie.

En effet, en l’absence d’une lettre de fiabilité, la responsabilité du consultant ne pourra être engagée à l’égard des tiers. Ce principe a été confirmé dans la décision ontarienne, Wolverine Tube (Canada) Inc.c. Noranda Metal Industries Limited et al[1].

Dans cette affaire, la défenderesse, Noranda, retient les services de la firme de consultants Arthur D. Little of Canada (« ADC ») pour faire une évaluation environnementale de sa propriété. Le contrat prévoit que le rapport réalisé par ADC est pour l’usage exclusif de Noranda et qu’aucune responsabilité ni dommage ne seront imputés à ADC si un tiers s’appuie sur les conclusions émises dans ce rapport. À l’insu de la firme de consultants, Noranda transmet une copie du rapport à Wolverine. Cette dernière achète les trois propriétés faisant l’objet du rapport en se fiant aux représentations contenues dans celui-ci. Wolverine découvre par la suite que les sols des propriétés en question sont contaminés, contrairement aux conclusions du rapport. Wolverine entreprend alors une poursuite pour négligence contre Noranda.

La question de la responsabilité d’ADC est soulevée par Noranda. La Cour détermine que le langage de la clause à l’effet que le rapport est à l’usage exclusif de Noranda est assez large pour conclure qu’aucune responsabilité ne peut être imputée à ADC puisqu’elle n’a pas de devoir de diligence envers l’acheteur des propriétés.

Pour éviter de telles situations, l’utilisation de lettres de fiabilité s’est développée et est aujourd’hui monnaie courante dans l’industrie.

Les effets juridiques d’une lettre de fiabilité sont importants et comportent des risques pour le professionnel. Elle crée un nouveau lien juridique entre le consultant et le tiers qui n’existait pas auparavant et augmente le risque de poursuites. Par contre, refuser d’émettre une lettre de fiabilité comporte un risque réputationnel et commercial.

Il est possible de minimiser ces risques en suivant quelques recommandations.

  • Limiter l’usage de la lettre de fiabilité à un utilisateur clairement identifié et non à un ensemble de personnes. Éviter les désignations générales comme « les acheteurs » ou « les institutions financières ».
  • Réitérer que le rapport initial et la lettre de fiabilité ne peuvent être cédés ou reproduits;
  • Réitérer les conditions et les limitations énoncées dans le rapport d’origine ou dans le mandat;
  • Vérifier si les conditions d’origine sont toujours valides au moment de l’émission;
  • Si possible, limiter la responsabilité au montant des honoraires ou au montant d’assurance;
  • Prévoir, dès le mandat initial, les conditions de l’émission d’une lettre de fiabilité (limite de temps, honoraires additionnels, etc.);
  • Inclure un avis sur les risques de ne retenir qu’un seul expert lorsque les intérêts des parties divergent.

Finalement, il est important de souligner qu’en raison des différences entre le droit civil et la common law, on ne peut présumer que les tribunaux québécois concluront nécessairement que l’absence de lettre de fiabilité exonère automatiquement le professionnel. En effet, en droit civil québécois, une personne peut engager sa responsabilité extracontractuelle à l’égard d’un tiers en commettant une faute contractuelle. [2] Néanmoins, l’utilisation des clauses de limitation de responsabilité et des lettres de fiabilité relève quand même des meilleures pratiques à adopter.

[1] Article 1457 C.C.Q. ; 3952851 Canada inc. c. Groupe Montoni (1995) division construction inc., 2017 QCCA 620, para 37.

[2] Wolverine Tube (Canada) Inc. v. Noranda Metal Industries Limited et al., [1995] O.J. No 3529.

À propos de l’auteur :
Gabriel Lefebvre est un avocat associé du bureau de Montréal de Borden Ladner Gervais. Il se spécialise en droit de la construction. Sa pratique est principalement axée sur la responsabilité des ingénieurs et les réclamations d’entrepreneurs. Il représente et conseille également ses clients en ce qui a trait aux questions qui touchent tous les aspects de l’industrie de la construction.

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